Le photojournalisme, une façon de voir, par Franck Nouchi
Al'heure où le secteur connaît des difficultés, la publication par l'hebdomadaire "Paris Match" d'un reportage sur les talibans a créé une polémique.
Malaise dans le petit monde des reporters de guerre. Il aura suffi de la publication par Paris Match le 3 septembre de quelques photos de combattants talibans affirmant avoir abattu dix soldats français le 18 août en Afghanistan pour que naisse une bien curieuse polémique sur le fait, pour un journal, de montrer et de donner la parole à des ennemis de la France.
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Outre l'habituelle critique faite à Match de sombrer dans le "voyeurisme" (aucun corps de soldat français n'apparaît sur les photos de Véronique de la Viguerie), c'est surtout d'avoir valorisé l'image des talibans qui est reproché à l'hebdomadaire. En d'autres termes, en publiant de telles photos, Matchles aurait aidés à marquer des points dans la"guerre des images" (Jean-Louis Georgelin, chef d'état-major des armées) et dans la"guerre de la communication" (Hervé Morin, ministre de la défense) qu'ils mènent contre les puissances étrangères militairement présentes sur le sol afghan.
On pourrait longtemps discuter de la mise en scène du reportage de Match (on ne comprend pas très bien en particulier si les deux reporters ont rencontré les talibans ou si seule la photographe a pu les approcher); en revanche, le débat sur le fait de savoir s'il est ou non légitime de photographier et de donner la parole aux talibans nous semble pour le coup d'un autre âge.
Comment ne pas rapprocher ces critiques du ministre de la défense et du haut état-major de la manière dont les responsables américains ont "encadré" la presse internationale, américaine en particulier, lors du conflit irakien? Veut-on à tout prix généraliser le concept de journaliste "embedded [embarqué] à tous les conflits auxquels participent les forces armées de l'OTAN?
Un autre reportage, diffusé la semaine dernière sur France 2 dans l'émission "Envoyé spécial", et à juste titre encensé par les chroniqueurs télé de la presse écrite, a d'une certaine manière clos ce débat. Il s'agissait d'un "Carnet de route" en Géorgie et en Ossétie du Sud de la journaliste Manon Loiseau et du cameraman Laurent Stoop. Mieux que toutes les analyses, il montrait la réalité quotidienne épouvantable de ce conflit aux enjeux considérables. Tout le monde avait la parole, ces vieilles femmes géorgiennes rescapées des atrocités perpétrées par les miliciens ossètes, mais aussi les soldats russes et, justement, les miliciens ossètes. C'est en voyant et en écoutant ces derniers ("Les Géorgiens vont payer. On est venu se venger. On ira jusqu'à Tbilissi pour les pénétrer par le feu") que l'on comprenait le mieux la sauvagerie de ce qui s'était passé.
Crise du photojournalisme et du reportage de guerre il y a, mais elle n'est pas ce qu'en disent les responsables politiques et militaires français. Tout au contraire. Fini le temps des grands photographes de guerre indépendants publiés dans toute la presse mondiale. "Aujourd'hui", expliquait la semaine dernière dans Télérama Christian Caujolle, le fondateur de l'agence photographique VU, "on est revenu à l'illustration, et on sombre parfois dans la communication cynique. Lorsque Sarkozy fournit lors de la campagne présidentielle ses propres images à la télé, on tombe carrément dans la propagande".
"La photographie est, avant tout, une façon de voir. Ce n'est pas, en soi, voir", écrivait Susan Sontag. Au milieu du flot ininterrompu d'images qui nous submergent, nous avons, aujourd'hui plus que jamais, besoin de cette "façon de voir" des photojournalistes.
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