Merci de votre visite

Merci d'ajouter un commentaire à chacune de mes interventions. Ainsi je vais mieux évaluer mes photos.
Aussi je vous suggère de vous inscrire comme abonné fidèle.

Rechercher sur ce blogue

samedi 15 novembre 2008

Lee Miller

Le puzzle Lee Miller

Photo. Au Jeu de Paume, une rétrospective des travaux surréalistes de l’artiste américaine qui fut l’élève et le modèle de Man Ray.

Réagir

Geneviève Fraisse

AUTOPORTRAIT, 1932. © Lee Miller Archives, England 2008.

AUTOPORTRAIT, 1932. © Lee Miller Archives, England 2008. (Lee Miller Archives, England 2008.)

L’Art de Lee Miller Jeu de Paume, 1, place de la Concorde, 75008. Jusqu’au 4 janvier. Rens. : 01 47 03 12 50.

On nous dit que Lee Miller, dont l’œuvre photographique est exposée au Jeu de Paume, choisit toutes les postures ; elle est modèle et artiste, mannequin et photographe, assistante de Man Ray et icône du surréalisme, image de papier glacé et correspondante de guerre à l’ouverture des camps de concentration, dans la revue américaine Vogue notamment. On parle des vies - pluriel obligé - de Lee Miller… Au même moment, un acteur, cinéaste, artiste, etc., Denis Hopper, est exposé à la Cinémathèque française. On dit de lui, je l’entends à la radio, qu’étant devant et derrière la caméra, il est un «artiste complet».

Destin. Ainsi la pluralité des postures pour la femme artiste d’un côté, la complétude de l’homme créateur de l’autre ; le pluriel pour elle, l’unité pour lui. Pourquoi en être surpris ? Je note qu’aujourd’hui encore le mot de muse persiste souvent pour qualifier Lee Miller. Envers celle qui choisit toujours l’aventure avant l’amour, la singularité de l’expérience avant la relation créatrice, et dont on peut voir les photos d’Egypte, de Roumanie ou de l’Allemagne vaincue, le mot est déplacé - ou ironique ? L’histoire est pourtant simple : lorsque la femme sortit de son immémoriel destin de muse, inspiratrice du génie créateur masculin, le désordre s’installa : on pouvait être muse et génie à la fois, ou tour à tour ; vertige de l’artiste femme qui s’émancipe de la tradition… Lee Miller aurait eu la connaissance diffuse de la querelle des poètes qui, à la fin de la Révolution française, se traduisait par un péremptoire : «Inspirez, mais n’écrivez pas !» Elle aurait répondu, comme à l’époque Constance de Salm, qu’elle était pour le partage des jouissances. Anaïs Nin résumera ainsi les choses : à être regardée, on peut avoir envie de regarder à son tour.

Subversion. Lee Miller pose nue pour son père, puis pour Man Ray, entre autres. Ensuite, elle n’a jamais pensé se suffire de ce rôle d’inspiratrice éblouissante, de muse consentante ; elle choisit d’être l’élève, l’assistante, de Man Ray ; et alors ? Elle ne reste pas une seconde dans l’ombre, elle est immédiatement photographe ; et brillamment, de Paris à New York… Mais encore ? Cette femme est un puzzle, c’est écrit à l’entrée de l’exposition. On parle toujours d’un puzzle pour l’éparpillement de ses morceaux, non pour le dessin d’ensemble.

Et si elle avait eu des raisons de laisser en pièces son histoire de créatrice ? De se contenter d’explorer les possibilités, entre tradition et subversion ? Cette photo de profil - ce qu’elle préfère, son profil, dit le fils - où elle est le modèle et le photographe, où elle fait ainsi la couverture d’un magazine, cet autoportrait m’impressionne, et pas seulement pour son incroyable beauté.

Sublimation. L’autoportrait du peintre de jadis correspondait à un moment de retour sur soi ; on gagnait sa vie en peignant les autres, les puissants, et l’on se réfléchissait comme peintre, dans la discrétion de l’atelier ; ici, l’autoportrait est source de financement, il permet de gagner de l’argent. C’est là que Lee Miller est une image importante : elle devient à la fois le sujet et l’objet, l’artiste et le tableau, la photographe et la photographie. Elle se paie ainsi ; elle vit avec ça. Au même moment, certaines femmes font de l’autoportrait une recherche essentielle - je pense à Claude Cahun qui ne cesse de travailler son visage. Se représenter, c’est s’approprier la création artistique, jusqu’ici réservée aux hommes. Pour Lee Miller, c’est une expérience parmi d’autres. Car Lee Miller ne s’attarde pas sur cette double ou triple position : modèle, artiste, artiste qui se prend pour modèle pour mieux se vendre. Elle est déjà ailleurs, c’est-à-dire aux extrêmes de l’histoire du XXe siècle : photographier l’éclat de la mode, photographier les ruines de guerre. Du plus futile au plus grave.

Pourquoi nous dit-on qu’elle fut violée à l’âge de 7 ans par le fils d’une famille amie? Une souffrance d’enfance comme cause de la sublimation artistique ? Un traumatisme sexuel comme échappée hors de l’histoire classique des femmes ? Aurait-on ce souci historiographique pour le parcours d’un créateur masculin ? Non, sans doute. Reste la photographe, celle du Portrait de l’espace, trou dans une toile tissée, ouvrant sur un large paysage nu, avec un cadre de miroir joint à cette déchirure : Lee Miller nous offre des cadrages, des lignes de lumière, des ombres géométriques, bref tout ce qui permet un regard sur les lignes signifiantes du monde.

Aucun commentaire: